Les auteurs européens classiques et la problématique de l’intervention

Qu’est ce que les auteurs classiques européens ont à dire sur la problématique de l’intervention en relations internationales ? C’est la question à laquelle tente de répondre un ouvrage collectif intitulé Just and unjust military intervention – European thinkers from Vitoria to Mill et dirigé par Stefano Recchi et Jennifer M. Welsh, sorti aux éditions Cambridge University Press. Si l’utilisation de la notion d’intervention militaire définie comme « déploiement transfrontalier de forces armées dans le but de changer la politique intérieure d’un pays étranger sans le consentement explicite des autorités locales » est récente, le mot date du XVème siècle. En fait, la réalité de ce qu’il désigne est également ancienne et un certain nombre d’auteurs européens (théologiens, philosophes, juristes, mais également économistes ou politistes) se sont penchés sur la question. À la lecture de cette ouvrage, on découvre que les débats contemporains portant sur l’intervention ne sont pas nouveaux et pour cause : les penseurs européens étudiés dans l’ouvrage ont tous joué un rôle de premier plan dans la construction de la société internationale actuelle. C’est pourquoi l’étude de leurs écrits est précieuse.

Just and unjust military intervention – European thinkers from Vitoria to Mill

Elle permet notamment de rendre compte de la pratique de l’intervention dans l’histoire européenne. Ainsi, en revenant sur la période 1520 – 1850, David Trim démontre que la pratique de l’intervention humanitaire est ancienne. Elle témoigne d’une solidarité religieuse suite à la Réforme : les États interviennent pour secourir leurs co-religionnaires étrangers dont les droits et la vie sont bafoués par un Prince considéré comme un tyran. Pour autant, ces interventions sont envisagées comme des mesures temporaires afin d’ « aider » l’État visé à exercer sa souveraineté de façon responsable, mais sans opérer de changement de régime. Contrairement peut-être à une croyance répandue, le Traité de Westphalie n’a pas mis fin à cette pratique et prononcé un principe de non ingérence absolu. Bien au contraire, l’intervention était prévue dans le texte pour garantir la liberté de religion.
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Dommages civils et intervention humanitaire

La perspective d’une intervention militaire en Syrie, même si elle n’est pas à exclure, semble à présent éloignée. La proposition russe de mise sous surveillance et de neutralisation de l’arsenal chimique syrien a eu raison des rares velléités interventionnistes, essentiellement occidentales. L’absence d’objectifs politico-stratégiques clairs, la crainte de passer outre une résolution du Conseil de Sécurité en raison des vetos russes et chinois, le risque de conflagration régionale, la volonté de ne pas prendre partie tout en « punissant » le régime de Damas et la présence de mouvements terroristes au sein de la rébellion annonçaient une opération militaire complexe. Il convient également d’évoquer parmi ces obstacles la possibilité de commettre des dommages civils.

Carte retraçant la trajectoire des attaques chimiques du 21 août en fonction des données issues du rapport des Nations Unies.

L’élément déclencheur à l’idée d’une intervention en Syrie a été l’utilisation d’armes chimiques par les forces loyalistes le 21 août 2013 à la Ghouta, établie par les services de renseignement américain, français et par le rapport récent de la Commission d’enquête des Nations Unies (qui, s’il ne désigne pas de responsable, indique clairement, par les vecteurs utilisés et la trajectoire des tirs, que les forces loyalistes sont très certainement à l’origine de cette attaque). Une « ligne rouge » ayant été franchie, les auteurs de l’attaque devaient être « punis » pour avoir brisé un tabou. Sur le plan opérationnel, cette intervention devait prendre la forme de frappes ciblées sur des objectifs militaires de haute valeur pendant une durée limitée. Le message devait également servir d’avertissement à tous les dirigeants qui seraient tentés de faire de même à l’avenir. Même si elle ne constituait pas l’objectif premier, la protection de la population syrienne était en jeu, ne serait-ce qu’en dissuadant les forces loyalistes de recommencer.

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Quel fondement juridique pour une intervention militaire en Syrie ?

Le monde attend. Après avoir évoqué le franchissement de « lignes rouges » et la nécessité de « punir » le régime syrien pour avoir  employé des armes chimiques contre la population civile, les deux États favorables à une intervention militaire  contre le régime de Bachar El Assad, la France et les États-Unis, ont décidé d’ajourner celle-ci à la publication du rapport des inspecteurs des Nations Unis. Pourtant, ces deux États ont chacun publié des éléments de preuves accusant le régime de Damas (ici et ). Il convient de noter que le rapport de la commission d’enquête formée par le Secrétaire Général des Nations Unies ne se prononcera pas sur l’identité des auteurs de l’attaque. En effet, son mandat, déterminé en collaboration avec le régime syrien, porte sur l’usage d’armes chimiques sur des sites spécifiques. Or, une première commission, initiée deux ans auparavant par le Conseil des Droits de l’Homme, s’est déjà exprimée sur cette question. Nonobstant la sortie d’un de ses membres, Carla Del Ponte, sur la culpabilité des rebelles dans l’utilisation d’armes chimiques, désavouée par ses collègues, la commission a affirmé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’une attaque chimique avait eu lieu.

Un inspecteur des Nations Unies recueille des échantillons qui auraient été contaminés par des armes chimiques.

Isolés sur la scène internationale, confrontés à l’hostilité de leurs propres opinions publiques, les deux pays alliés cherchent probablement à gagner du temps afin de rallier le maximum de soutiens possibles. Le Président Obama a décidé, de demander l’autorisation du Congrès. France et États-Unis font au mieux pour donner un maximum de légitimité à une éventuelle action militaire, dont la légalité est loin d’être assurée.

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