Données sur les opérations contre-terroristes américaines en-dehors des zones d’hostilités actives : entre transparence et zones d’ombre

La publication des données relatives aux opérations contre-terroristes américaines en-dehors des zones d’hostilités actives par l’administration Obama franchit indubitablement un cap dans la transparence de ce programme. Et pour cause : c’est la première fois qu’elle publie des chiffres officiels sur ces opérations sur une période donnée (du 20 janvier 2009 au 31 décembre 2015).

Leur reconnaissance s’est faite progressivement lors d’interventions publiques de membres de l’administration comme l’ancien Secrétaire à la Justice Eric Holder ou John Brennan, ancien conseiller à la sécurité nationale devenu le directeur de la CIA. Le Président Obama lui-même a fini par s’exprimer sur le sujet. Début 2013, une fuite révélait la base légale « des opérations létales dirigées contre un citoyen américain haut dirigeant opérationnel d’Al-Qaïda ou d’une force associée ».

MQ-9_Reaper

La même année, le Président Obama prononçait un discours important sur la lutte contre le terrorisme, notamment sur l’usage de la force en-dehors des zones d’hostilités actives, à la National Defence University. Parallèlement, des standards de conduite relatifs à cet emploi de la force étaient rendus publics. En juin 2014, une Cour d’appel fédérale américaine divulguait le mémorandum du Département de la Justice donnant un fondement légal à l’attaque d’Anwar al-Awlaki suite à l’action en justice de l’American Civil Liberties Union (ACLU) et du New York Times.

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Quelles limites humanitaires aux méthodes et moyens de guerre ?

Quelles limites humanitaires aux méthodes et moyens de guerre ? Tel était le thème du dernier débat 5 à 7 du Comité Internationale de la Croix-Rouge (CICR) qui s’est tenu mercredi 29 juin 2016.

À l’heure où la population, les objets et les personnes protégés sont de plus en plus exposés à la guerre, se pose la question de l’efficacité du droit international humanitaire (DIH) pour limiter les effets des hostilités et protéger les civils. Est-il toujours pertinent ? Ne doit-il pas évoluer ?


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Jusqu’où aller dans la protection des forces ? L’exemple du Protocole Hannibal.

Au cours du conflit de l’été 2014 avec les groupes armés palestiniens de Gaza, Israël a employé une procédure controversée pour protéger ses soldats du risque de prise d’otage: le Protocole Hannibal. L’occasion pour nous de revenir sur la protection des forces en droit international humanitaire, notamment par rapport à celle de la population civile.

Le droit international humanitaire (DIH) régule la conduite des hostilités en temps de guerre. Il est le résultat d’un équilibre entre nécessité militaire et impératif humanitaire. Par exemple, le principe fondamental de distinction impose de n’attaquer que les combattants (sauf hypothèse où ils sont hors de combat) et les objectifs militaires, pas les personnes civiles et les biens civils. L’impératif humanitaire est la protection de personnes innocentes. La nécessité militaire est la rationalisation de la conduite de la guerre en la concentrant aux biens et personnes participant aux hostilités afin d’éviter l’escalade de la violence susceptible d’aboutir à la guerre totale. À l’inverse, les soldats bénéficient-ils d’une protection en DIH ? De prime abord, la question peut sembler surprenante puisqu’en vertu du principe de distinction, ils constituent par définition des objectifs militaires pouvant être attaqués. Toutefois, ils bénéficient d’une certaine protection dans les moyens employés. En effet, selon l’article 35 2) du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève (PAI), « il est interdit d’employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ». On retrouve l’impératif humanitaire dans la volonté d’éviter les souffrances inutiles, volonté qui est aussi une nécessité militaire d’empêcher le conflit de s’envenimer.

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Rafah où a été employé le Protocole Hannibal le 1er août 2014.

Cependant, c’est plus en rapport avec la population et les biens civils que se pose la question de la protection des forces combattantes. On sait que les belligérants doivent prendre un certain nombre de mesures lorsqu’ils préparent leurs attaques pour protéger les populations des effets des hostilités. C’est le principe de précaution. Mais jusqu’où vont ces mesures ? Doivent-elles conduire les forces armées à prendre plus de risque ? Leur sécurité doit-elle systématiquement céder face à la protection des civils ? Autrement dit, l’impératif humanitaire l‘emporte-t-il sur la nécessité militaire ?

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La lettre contre les « robots tueurs » et ses réactions

La campagne contre les robots tueurs a franchi une nouvelle étape avec la publication d’une lettre ouverte appelant à l’interdiction des « armes autonomes offensives hors du contrôle humain significatif ». Parmi les signataires, on trouve, entre autres, de grands noms de la recherche en sciences dures, en sciences humaines et sociales, des patrons et des ingénieurs travaillant dans les nouvelles technologies ainsi que des membres de la société civile. Le physicien et cosmologiste Stephen Hawking, le co-fondateur d’Apple Steve Wozniak, le professeur Noam Chomsky du Massachusetts Institute of Technology ou encore Elon Musk, directeur de SpaceX et Tesla, font partie des 19 000 personnes ayant signé cette lettre.

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Le Samsung SGR-1, positionné à la frontière entre les deux Corées, est capable de détecter, cibler et, en théorie, d’attaquer une cible de façon autonome. En pratique, un humain doit approuver le tir.

  • Contenu de la lettre

Là où la campagne met traditionnellement l’accent sur la substitution de l’humain par la machine dans la décision de recourir à la force conduisant à des violations du droit international humanitaire (DIH) et des droits humains, et à un vide de responsabilité, la lettre mentionne la course globale aux armements liés à l’intelligence artificielle comme « question clé pour l’humanité aujourd’hui ». L’enjeu est de savoir s’il faut commencer une telle course ou l’empêcher. Elle pointe la responsabilité des grandes puissances militaires qui, si elles mettent le doigt dans l’engrenage, rendront cette course inévitable avec comme risque que ces armes autonomes deviennent les « kalachnikovs de demain » en raison de leur faible coût. Les « terroristes », les « dictateurs » et autres « seigneurs de guerre » auront alors facilement accès à ces armes sur le marché noir.

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Contrôle humain significatif et systèmes d’armes létaux autonomes

Du 13 au 17 avril, les membres délégués de la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques se sont à nouveau réunis pour discuter de la problématique des systèmes d’armes létaux autonomes (SALA). Ces derniers peuvent être définis comme des « systèmes d’arme robotique qui, une fois activés, peuvent sélectionner et engager des cibles sans l’intervention d’un opérateur humain. (…) Le robot dispose d’un choix autonome dans la sélection de l’objectif et l’usage de la force létale ».

Le programme LOCUST de la Navy permettra à plusieurs mini-drones d'opérer de façon autonome en essaim

Le programme LOCUST de la Navy permettra à plusieurs mini-drones d’opérer (mais pas de tuer) de façon autonome en essaim

Qualifiés de « robots tueurs » par leurs opposants, ces derniers font campagne depuis plusieurs années pour l’adoption d’un traité international visant l’interdiction préventive de cette technologie. En effet, ils estiment qu’elle est incapable de respecter le droit international humanitaire (DIH) en l’absence de la faculté de jugement humain. En dépit de leur puissance de calcul, de leurs capteurs ou de leur mémoire, les machines n’auraient pas la capacité, pour ne pas écrire la sensibilité, de comprendre avec justesse une situation complexe pouvant conduire à l’emploi de la force létale.

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Les « combattants terroristes étrangers » et le droit international humanitaire

Si le phénomène des combattants étrangers est loin d’être nouveau, son ampleur sur le théâtre syrien actuel est exceptionnelle. Leur nombre est estimé entre 3 000 et 15 000. On peut l’augmenter à 20 000 en incluant l’Irak et la Libye. À titre de comparaison, le théâtre irakien depuis 2003 comptabilisait 4 000 à 5 000 combattants étrangers, l’Afghanistan 1 000 à 1 500. La Syrie est probablement le pays où le plus grand nombre de combattants étrangers est en activité simultanément. De plus, l’étendue géographique de l’origine de ces combattants est sans précédent avec au moins 81 pays.

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Carte des flux de combattants étrangers vers la Syrie

Le combattant étranger peut être défini comme l’individu qui rejoint une insurrection au cours d’une guerre civile mais qui n’est pas citoyen des États en conflit. Thomas Hegghammer fournit une définition plus étoffée en établissant quatre critères. Le combattant étranger est un individu qui a rejoint une insurrection et qui opère en son sein ; qui n’a pas la citoyenneté ou de parenté avec les Parties en conflit ; qui n’est pas affilié à une organisation militaire officielle ; et qui n’est pas payé.
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2014, une année noire pour les civils afghans

« Les civils ont payé un lourd tribut à l’intensification de la violence liée au conflit en Afghanistan en 2014, avec des morts et des blessés ayant atteint des niveaux sans précédent », selon les mots du rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies (UNAMA), confirmant celui rendu en milieu d’année1. Ainsi, 2014 comptabilise 10 548 dommages civils, comprenant 3 699 morts et 6 849 blessés. Au total, cela représente une augmentation de 22% par rapport à 2013. Les décès ont augmenté de 25%, les blessés de 21%. Il s’agit du plus grand nombre de dommages civils enregistrés depuis le début de la mission en 2009.

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Les femmes et les enfants ont été particulièrement touchés puisque les premières comptent 298 morts et 611 blessés, soit une hausse de 21% par rapport à 2013. En moyenne, plus de 17 femmes ont été tuées ou blessées chaque semaine en 2014 des suites du conflit afghan. Les seconds enregistrent 714 tués et 1 760 blessés, soit une hausse de 40% par rapport à 2013, et le plus grand nombre de dommages civils comptabilisés depuis 2009. Sept enfants étaient tués ou blessés par semaine dans les violences liées au conflit. Il ne faut pas oublier l’impact économique et social profond du conflit sur ces catégories de population qui est largement passé sous silence. Les interviews conduites par l’UNAMA auprès d’un échantillon de femmes montrent qu’elles sont souvent victimes de violence suite au décès de leurs maris2 ; elles subissent l’opprobre social et sont perçues comme des fardeaux par la communauté3. De leur côté, les enfants subissent des violences sexuelles et sont enrôlés de force par les groupes armés anti-gouvernementaux (mais aussi les forces de sécurité pro-gouvernementales).
En tout, l’UNAMA a recensé 47 745 dommages civils (17 774 morts et 29 971 blessés entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2014.

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L’opération « Bordure protectrice » et les avertissements à la population civile

Israël a lancé une intervention militaire intitulée « Bordure Protectrice » le 8 juillet 2014 dans la bande de Gaza pour mettre fin aux tirs de roquettes des groupes armés palestiniens et détruire les tunnels souterrains utilisés pour mener des attaques en Israël. Cette intervention fait suite à une escalade dans l’emploi de la violence armée entre les deux belligérants. Le bilan provisoire serait, au 29 juillet 2014, de 1 118 tués, dont 827 civils, côté palestinien selon le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires occupés. Il serait de 56 morts, dont deux civils, côté israélien.

Alors que les hostilités continuent, le conflit a déjà fait l’objet d’un nombre considérable d’analyses politiques, militaires mais également juridiques. La presse internationale s’est notamment arrêtée sur une procédure précise issue du droit international humanitaire : l’obligation, pour les forces aériennes israéliennes, d’avertir la population palestinienne, en cas d’attaque pouvant l’affecter (voir, par exemple, ces articles du Monde, de Rue89, de Slate, du Christian Science Monitor, de CNN ou encore du New York Times).

Un enfant palestinien de Gaza City tenant à la main une poignée de tracts israéliens enjoignant la population de quitter les lieux

L’objectif de ce billet est de revenir sur l’origine et le contenu de cette obligation juridique en essayant de l’appliquer au conflit en cours dans la mesure des informations actuellement disponibles.

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Prévention et limitation des dommages civils : l’expérience de la Civilian casualty tracking cell en Afghanistan

« La contre-insurrection est l’ensemble des efforts civils et militaires destinés à défaire et contenir une insurrection tout en s’attaquant à ses causes », selon la nouvelle version du manuel américain de contre-insurrection, le FM 3-24, intitulé Insurgencies and countering insurgencies. Dans cette optique, la victoire consiste moins à battre l’armée ennemie qu’à rallier le maximum de soutiens derrière nos objectifs politiques. A ce titre, la contre-insurrection est une « bataille » pour la légitimité qui vise l’établissement d’un gouvernement accepté par la population. La force armée est un moyen nécessaire à cette fin mais il est insuffisant pour garantir à lui seul cette légitimité. Les actions civiles jouent un rôle fondamental dans la « conquête des cœurs et des esprits ». En outre, la force armée doit être utilisée de façon appropriée. Autrement dit, elle doit être limitée au strict nécessaire, en vue d’écarter un groupe armé et de réassurer la population. L’emploi immodéré de la force, même temporaire, peut affecter la légitimité du gouvernement et des forces armées qui le soutiennent. Des pertes civiles ou des destructions peuvent notamment entamer la confiance de la population et favoriser les groupes armés d’opposition.

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C’est pourquoi la contre-insurrection doit avoir pour règle générale de « ne pas créer plus d’ennemis que ceux que tu élimines avec ton action ». « Plus la force est utilisée, moins elle peut être efficace », indique le manuel de contre-insurrection réactualisé reprenant quasiment à l’identique une formule employée dans l’ancienne version. « Plus la force est appliquée, plus les chances de dommage collatéral et d’erreur sont grandes », et ce d’autant plus que le conflit a lieu au sein de la population. Par conséquent, le recours à la force doit se faire de « façon précise pour accomplir la mission sans causer des morts non nécessaires ou de la souffrance ». L’emploi précis et discriminé de la force appuie la règle de droit nécessaire pour établir la légitimité de la Nation hôte.
C’est dans cet esprit qu’a été mise en place la Civilian casualty tracking cell (CCTC) en Afghanistan fin août 2008 par le Commandant de la Force Internationale d’Assistance et de Sécurité (FIAS), le Général Mc Kiernan. Son histoire et son fonctionnement sont analysés dans un rapport du Center for for civilians in conflict intitulé Civilian harm tracking : analysis of ISAF efforts in Afghanistan.

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Retour sur les attaques aériennes antiterroristes conduites au Yémen du 19 au 21 avril 2014

Plusieurs opérations militaires antiterroristes ont été menées le weekend dernier par les États-Unis et le Yémen contre Al-Qaïda Péninsule arabique (AQPA). Une fois n’est pas coutume, les autorités américaines ont refusé de commenter ces opérations, continuant d’entretenir le flou sur la composante militaire du contreterrorisme américain. En l’espèce, des questions se posent sur les auteurs des attaques, l’existence d’une menace à la vie des citoyens américains, standard fixé par les États-Unis en mai 2013, ainsi que sur les victimes civiles.

Tout d’abord, il convient de revenir sur ce qui s’est passé ce weekend.

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