Plus de transparence pour les opérations contre-terroristes américaines

En l’espace de trois jours, l’administration américaine a fait deux annonces majeures au sujet de ses opérations contre-terroristes exécutées principalement par des drones armés : la publication prochaine de la directive présidentielle encadrant la pratique et la divulgation des chiffres sur le nombre de victimes (combattantes et civiles) de ces attaques.

Le Département de la Justice a accepté la publication de la directive présidentielle relative à l’encadrement des opérations contre-terroristes en dehors des zones d’hostilités actives. Cette décision fait suite à une ordonnance émise par la juge Collen MacMahon de la Cour fédérale de Manhattan dans le cadre d’une action de l’American Civil Liberties Union (ACLU) sur le fondement du Freedom of Information Act. La juge demande la production de ce document intitulé Presidential Policy Guidance (PPG) (aussi appelé « the Playbook ») ainsi que deux autres pour un examen à huis-clos.

drone

Le document devrait donc être publié prochainement, expurgé des passages contenant des informations protégées par le secret.

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Les défis contemporains du ciblage

Dans un ouvrage collectif récent, Michael Schmitt, Paul Ducheine et Franz P. B. Osinga fournissent un éclairage complet sur une notion inhérente à la guerre : le ciblage. Une lecture incontournable pour qui veut saisir, entre autres, les enjeux des bombardements aériens actuellement menés en Syrie et en Irak.

Intitulé Targeting : the challenges of modern warfare, le livre se présente comme une étude multidisciplinaire sur le ciblage. Celui-ci peut se définir comme « l’application délibérée de capacités contre des cibles pour générer des effets afin d’atteindre des objectifs spécifiques. Il s’agit de l’application de moyens de guerre (des armes) pour atteindre des cibles (personnes ou objets) en utilisant une variété de méthodes (tactiques) qui créent des effets contribuant aux buts planifiés » (p. 2). Le ciblage n’est rien moins que le « pont entre les fins et les moyens de la guerre » (p. 2). C’est pourquoi son étude est salutaire que ce soit au niveau du monde universitaire que du grand public, toujours plus exposé au spectacle de la « souffrance à distance ». En effet, les auteurs ont pour ambition de pallier aux insuffisances du débat public au sujet des opérations de guerre afin de le propulser à un niveau « mature et sophistiqué » (p. 4).

Targeting

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Résolution 2249 et convergence des titres juridiques sur la Syrie

Suite aux attaques terroristes récentes de l’État islamique, on a observé une convergence des titres juridiques invoqués pour justifier les interventions militaires en Syrie. Pour autant, cette évolution n’a pas débouché sur une résolution du Conseil de Sécurité autorisant l’emploi de la force armée.

La France a été victime d’une série d’attentats le vendredi 13 novembre 2015 à Paris et à Saint Denis. À l’heure où nous écrivons, le bilan est de 130 morts et de 352 blessés. Le Président François Hollande a qualifié ces attentats d’ « actes de guerre » dans son discours devant le Congrès à Versailles du 16 novembre :

« La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris et près du Stade de France, sont des actes de guerre. Ils ont fait au moins 129 morts et de nombreux blessés. Ils constituent une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse, contre son mode de vie ».

Résolution 2249 du Conseil de Sécurité

Le Conseil de Sécurité vote la résolution 2249 le 20 novembre 2015

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Interventions en Syrie : entre légitime défense individuelle, collective et contournement des autorités syriennes

Contrairement aux déclarations récurrentes des autorités du pays, la France a fait savoir au Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’elle intervenait militairement en Syrie dans le cadre de la légitime défense collective de l’Irak. Un fondement consensuel mais non exclusif parmi les États de la coalition.

L’intervention française en Syrie contre Daesh a suscité des doutes si ce n’est des critiques de la part d’un certain nombre d’universitaires. Emmanuel Goffi, Professeur de sciences politiques à l’Université de Manitoba, la qualifie d’ « illégale » et de « dangereuse », « s’appuyant sur une interprétation erronée du droit international ».

Réunion de chefs de la diplomatie à Vienne le 23 octobre 2015 au sujet de la Syrie.

Réunion de chefs de la diplomatie à Vienne le 23 octobre 2015 au sujet de la Syrie.

Olivier Corten, Professeur de droit international à l’Université Libre de Belgique, estime qu’elle est la manifestation d’une nouvelle doctrine française d’unilatéralisme qui renvoie aux guerres préventives de l’administration américaine de l’ancien Président Georges W. Bush. Elle s’inscrirait dans la « culture de l’intervention » développée au cours de la décennie de la « guerre contre le terrorisme » des années 2 000, en rupture avec le texte et l’esprit de la Charte des Nations unies.

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Jusqu’où aller dans la protection des forces ? L’exemple du Protocole Hannibal.

Au cours du conflit de l’été 2014 avec les groupes armés palestiniens de Gaza, Israël a employé une procédure controversée pour protéger ses soldats du risque de prise d’otage: le Protocole Hannibal. L’occasion pour nous de revenir sur la protection des forces en droit international humanitaire, notamment par rapport à celle de la population civile.

Le droit international humanitaire (DIH) régule la conduite des hostilités en temps de guerre. Il est le résultat d’un équilibre entre nécessité militaire et impératif humanitaire. Par exemple, le principe fondamental de distinction impose de n’attaquer que les combattants (sauf hypothèse où ils sont hors de combat) et les objectifs militaires, pas les personnes civiles et les biens civils. L’impératif humanitaire est la protection de personnes innocentes. La nécessité militaire est la rationalisation de la conduite de la guerre en la concentrant aux biens et personnes participant aux hostilités afin d’éviter l’escalade de la violence susceptible d’aboutir à la guerre totale. À l’inverse, les soldats bénéficient-ils d’une protection en DIH ? De prime abord, la question peut sembler surprenante puisqu’en vertu du principe de distinction, ils constituent par définition des objectifs militaires pouvant être attaqués. Toutefois, ils bénéficient d’une certaine protection dans les moyens employés. En effet, selon l’article 35 2) du Protocole Additionnel I aux Conventions de Genève (PAI), « il est interdit d’employer des armes, des projectiles et des matières ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ». On retrouve l’impératif humanitaire dans la volonté d’éviter les souffrances inutiles, volonté qui est aussi une nécessité militaire d’empêcher le conflit de s’envenimer.

Rafah 1_08_2014

Rafah où a été employé le Protocole Hannibal le 1er août 2014.

Cependant, c’est plus en rapport avec la population et les biens civils que se pose la question de la protection des forces combattantes. On sait que les belligérants doivent prendre un certain nombre de mesures lorsqu’ils préparent leurs attaques pour protéger les populations des effets des hostilités. C’est le principe de précaution. Mais jusqu’où vont ces mesures ? Doivent-elles conduire les forces armées à prendre plus de risque ? Leur sécurité doit-elle systématiquement céder face à la protection des civils ? Autrement dit, l’impératif humanitaire l‘emporte-t-il sur la nécessité militaire ?

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La France invoque la légitime défense contre l’État islamique en Syrie

Un an après le lancement de l’opération Chammal en Irak, la France étend ses opérations contre l’État islamique à la Syrie au nom de la légitime défense. Si cette décision peut s’avérer logique, le motif invoqué apparaît fragile, bien que partagé par de plus en plus d’États dans la « guerre contre le terrorisme ».

Alors que la campagne de bombardement aérien contre l’État islamique (EI) conduite par une coalition d’États menée par les États-Unis vient de passer sa première année et que les civils syriens paient un tribut de plus un plus lourd à un conflit vieux de quatre ans, le nombre de belligérants ne cessent d’augmenter. Ainsi, la Russie a renforcé sa présence militaire aux côtés des forces progouvernementales. La Grande-Bretagne a annoncé avoir opéré des frappes de drone en août dans un pays où elle n’était pas engagée militairement jusqu’alors. Plus récemment, l’aviation australienne a effectué sa première attaque contre le groupe terroriste.

Hollande_Syrie

De son côté, le Président de la République française François Hollande a annoncé que des avions allaient effectuer des vols de reconnaissance, préalable en vue de « coups ciblées » contre l’EI. Cette décision peut paraître étonnante si on se rappelle qu’il y a deux ans, le même Président appelait à punir Bachar al-Assad pour l’utilisation d’armes chimiques par ses forces contre sa population. Un an plus tard, la France intervenait militairement contre l’EI en Irak dans le cadre de l’opération Chammal aux côtés des États de la coalition. L’Irak consentait à des opérations militaires sur son sol pour se défendre contre Daesh. Mais la France avait refusé d’effectuer des frappes en Syrie. Il convient de noter qu’à l’époque, le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius n’avait pas contesté la légalité internationale de l’intervention en Syrie. Qu’en est-il un an plus tard ?

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La lettre contre les « robots tueurs » et ses réactions

La campagne contre les robots tueurs a franchi une nouvelle étape avec la publication d’une lettre ouverte appelant à l’interdiction des « armes autonomes offensives hors du contrôle humain significatif ». Parmi les signataires, on trouve, entre autres, de grands noms de la recherche en sciences dures, en sciences humaines et sociales, des patrons et des ingénieurs travaillant dans les nouvelles technologies ainsi que des membres de la société civile. Le physicien et cosmologiste Stephen Hawking, le co-fondateur d’Apple Steve Wozniak, le professeur Noam Chomsky du Massachusetts Institute of Technology ou encore Elon Musk, directeur de SpaceX et Tesla, font partie des 19 000 personnes ayant signé cette lettre.

SGR-1

Le Samsung SGR-1, positionné à la frontière entre les deux Corées, est capable de détecter, cibler et, en théorie, d’attaquer une cible de façon autonome. En pratique, un humain doit approuver le tir.

  • Contenu de la lettre

Là où la campagne met traditionnellement l’accent sur la substitution de l’humain par la machine dans la décision de recourir à la force conduisant à des violations du droit international humanitaire (DIH) et des droits humains, et à un vide de responsabilité, la lettre mentionne la course globale aux armements liés à l’intelligence artificielle comme « question clé pour l’humanité aujourd’hui ». L’enjeu est de savoir s’il faut commencer une telle course ou l’empêcher. Elle pointe la responsabilité des grandes puissances militaires qui, si elles mettent le doigt dans l’engrenage, rendront cette course inévitable avec comme risque que ces armes autonomes deviennent les « kalachnikovs de demain » en raison de leur faible coût. Les « terroristes », les « dictateurs » et autres « seigneurs de guerre » auront alors facilement accès à ces armes sur le marché noir.

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Manuel de droit de la guerre

Le titre peut paraître trompeur. Le manuel de droit de la guerre de David Cumin, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin ne porte pas uniquement sur le « droit de la guerre » stricto sensu, à savoir le droit applicable durant la conduite des hostilités appelé jus in bello. Par ce titre, l’auteur entend traiter de tous les aspects juridiques relatifs au phénomène qu’est la guerre, qu’il définit comme « la mise en œuvre collective et coercitive de l’hostilité par l’emploi de la force armée se traduisant par des combats durables portant atteinte aux personnes et aux biens, donc causant des victimes » (p. 22). Il s’agit d’une synthèse inédite et ambitieuse portant sur le droit du recours à la force (le jus ad bellum), le droit de la conduite des hostilités et la responsabilité réparatrice et punitive, que l‘on pourrait regrouper sous le vocable « droit international militaire » (p. 21).

Manuel droit de la guerre

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Réalités de la participation des civils aux hostilités

La question de la participation des civils aux hostilités est peut-être l’une des plus controversées en droit international humanitaire (DIH). Elle rend compte de la réalité selon laquelle des civils choisissent de prendre les armes contre les forces ennemies. Pour autant, si cette règle entraîne une perte d’immunité, elle n’aboutit pas à un changement de statut. En effet, un civil ne devient pas un combattant en raison de son choix de participer aux hostilités ; il ne se verra pas accorder le privilège du combattant. Ainsi, il se lance dans une « belligérance risquée » puisqu’il ne bénéficie plus de l’immunité contre les attaques ; il ne bénéficie pas du statut de prisonnier de guerre et peut faire l’objet de poursuite judiciaire pour cette participation aux hostilités en cas d’arrestation. Cette règle est au cœur de la rationalisation de la violence opérée par le DIH. Elle cherche à la fois à décourager ceux qui rejoignent le combat tout en maintenant l’inviolabilité de la protection dont jouissent les civils qui ne participent pas aux hostilités.

Ajdabiyah

Combattants rebelles près d’Ajdabiyah en Libye en 2011

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Kill chain

Dans Kill chain. The rise of the high tech assassins, le journaliste Andrew Cockburn retrace la généalogie des opérations contre-terroristes menées voilà plus d’une décennie par les États-Unis contre les organisations terroristes que ce soit sur des théâtres de guerre qu’en-dehors des zones d’hostilités actives. Elles sont globalement le résultat de deux évolutions convergentes de la conception américaine de la guerre.

Kill chain

Tout d’abord, il y a la recherche constante d’une capacité omnisciente de ce qui se passe sur le champ de bataille afin de frapper les objectifs militaires pertinents perçcus comme susceptibles de faire tomber l’ennemi. L’auteur revient notamment en détail sur un épisode : le projet « Igloo white » de la fin des années 60 et du début des années 70, du nom de cette barrière électronique bardée de capteurs chargée de détecter, d’identifier et de neutraliser les mouvements de troupes vietcongs dans la jungle. Ambitieux (il était même prévu de faire intervenir des drones), ce projet allait s’avérer être un échec. En fait, il portait déjà les germes des déconvenues à venir, soit une guerre automatisée reposant sur une masse d’informations recueillie par une technologie de pointe, afin de mieux identifier les « nœuds critiques » susceptibles de faire tomber l’ennemi mais finalement éloigné des réalités de la guerre avec tout ce qu’elle peut contenir d’aléas, de « frictions » sans compter le comportement de l’adversaire.

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