Les « combattants terroristes étrangers » et le droit international humanitaire

Si le phénomène des combattants étrangers est loin d’être nouveau, son ampleur sur le théâtre syrien actuel est exceptionnelle. Leur nombre est estimé entre 3 000 et 15 000. On peut l’augmenter à 20 000 en incluant l’Irak et la Libye. À titre de comparaison, le théâtre irakien depuis 2003 comptabilisait 4 000 à 5 000 combattants étrangers, l’Afghanistan 1 000 à 1 500. La Syrie est probablement le pays où le plus grand nombre de combattants étrangers est en activité simultanément. De plus, l’étendue géographique de l’origine de ces combattants est sans précédent avec au moins 81 pays.

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Carte des flux de combattants étrangers vers la Syrie

Le combattant étranger peut être défini comme l’individu qui rejoint une insurrection au cours d’une guerre civile mais qui n’est pas citoyen des États en conflit. Thomas Hegghammer fournit une définition plus étoffée en établissant quatre critères. Le combattant étranger est un individu qui a rejoint une insurrection et qui opère en son sein ; qui n’a pas la citoyenneté ou de parenté avec les Parties en conflit ; qui n’est pas affilié à une organisation militaire officielle ; et qui n’est pas payé.
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Logiques de guerre et application du droit international humanitaire

Nous avons vu dans un précédent billet la centralité de la règle de droit dans la doctrine de contre-insurrection américaine et le changement qui en a résulté dans la conduite de la guerre. La nécessité de gagner le « cœur et l’esprit » des populations a poussé les États-Unis à orienter leurs opérations militaires dans un sens plus respectueux du droit international. Le respect de la légalité devait être un élément déterminant de la légitimité. Par exemple, le Commandement US a adopté des directives tactiques restreignant l’emploi de la force aérienne en Afghanistan afin de diminuer les risques de dommages civils. Pour autant, le respect du droit international humanitaire ne semble pas avoir été systématique durant ce conflit. Ainsi, les trafiquants de drogue ont été délibérément attaqués sans que leur implication directe dans les hostilités n’ait été établie.

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Cette tension entre restriction et extension semble être une caractéristique majeure de la conduite contemporaine de la guerre, notamment dans l’exercice de la puissance aérienne. On peut ajouter le cas des éliminations ciblées par les drones armés américains. La multiplication de ces opérations témoigne d’un usage privilégié de la force létale caractéristique du paradigme de guerre alors que l’existence d’un conflit armé dans les zones où elles ont lieu est controversée. Toutefois, les standards qui les gouvernent sont plus contraignants que ceux issus du droit international humanitaire, ce qui en fait des actes « hybrides », entre guerre, maintien de l’ordre et légitime défense.
Dès lors, comment comprendre les dynamiques à l’œuvre dans l’application du droit international humanitaire ? Quelle rationalité peut expliquer qu’une armée puisse aller plus loin dans les restrictions de ciblage que les standards juridiques, tout en autorisant des frappes contre des objectifs clairement illégaux ?
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Les auteurs européens classiques et la problématique de l’intervention

Qu’est ce que les auteurs classiques européens ont à dire sur la problématique de l’intervention en relations internationales ? C’est la question à laquelle tente de répondre un ouvrage collectif intitulé Just and unjust military intervention – European thinkers from Vitoria to Mill et dirigé par Stefano Recchi et Jennifer M. Welsh, sorti aux éditions Cambridge University Press. Si l’utilisation de la notion d’intervention militaire définie comme « déploiement transfrontalier de forces armées dans le but de changer la politique intérieure d’un pays étranger sans le consentement explicite des autorités locales » est récente, le mot date du XVème siècle. En fait, la réalité de ce qu’il désigne est également ancienne et un certain nombre d’auteurs européens (théologiens, philosophes, juristes, mais également économistes ou politistes) se sont penchés sur la question. À la lecture de cette ouvrage, on découvre que les débats contemporains portant sur l’intervention ne sont pas nouveaux et pour cause : les penseurs européens étudiés dans l’ouvrage ont tous joué un rôle de premier plan dans la construction de la société internationale actuelle. C’est pourquoi l’étude de leurs écrits est précieuse.

Just and unjust military intervention – European thinkers from Vitoria to Mill

Elle permet notamment de rendre compte de la pratique de l’intervention dans l’histoire européenne. Ainsi, en revenant sur la période 1520 – 1850, David Trim démontre que la pratique de l’intervention humanitaire est ancienne. Elle témoigne d’une solidarité religieuse suite à la Réforme : les États interviennent pour secourir leurs co-religionnaires étrangers dont les droits et la vie sont bafoués par un Prince considéré comme un tyran. Pour autant, ces interventions sont envisagées comme des mesures temporaires afin d’ « aider » l’État visé à exercer sa souveraineté de façon responsable, mais sans opérer de changement de régime. Contrairement peut-être à une croyance répandue, le Traité de Westphalie n’a pas mis fin à cette pratique et prononcé un principe de non ingérence absolu. Bien au contraire, l’intervention était prévue dans le texte pour garantir la liberté de religion.
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Légalité internationale d’une intervention militaire contre l’État islamique en Syrie (complément)

L’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Samantha Power, a informé le Conseil de Sécurité des actions entreprises contre les menaces terroristes en Syrie dans une lettre en date du 23 septembre 2014.

Lettre de Samantha Power au SGNU

Les frappes aériennes contre l’État islamique sont motivées par la légitime défense collective. En raison des attaques de l’État islamique auxquelles l’Irak fait face, attaques planifiées, préparées, et exécutées depuis la Syrie, les autorités irakiennes demandent aux États-Unis de l’aider à mettre fin à ces attaques dans le cadre d’une coalition internationale, en frappant les sites et les installations militaires de l’État islamique en Syrie. L’objectif final est de permettre à l’armée irakienne de regagner le contrôle de ses frontières.

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Légalité internationale d’une intervention militaire contre l’État islamique en Syrie

Dans son discours du 14 septembre sur l’organisation de l’État islamique (EI), le Président américain Barack Obama a annoncé sa volonté de créer une « large coalition pour repousser cette menace terroriste ». L’objectif est « clair » : il s’agit « d’entamer, et finalement détruire [l’EI] à travers une stratégie contreterroriste globale et soutenue ». Cela passe par une campagne de frappes aériennes qui a d’ailleurs commencé début août. Obama a promis de frapper l’organisation où qu’elle se trouve, y compris en Syrie.
Depuis, de nombreux débats ont animé la blogosphère juridique sur la légalité d’une intervention militaire contre l’EI en Irak et en Syrie en droit interne, notamment par rapport à l’Authorization for use of military force (AUMF) votée en 2001, qui permet l’emploi de la force militaire contre Al-Qaïda et ses forces associées (voir, par exemple, ce billet de Marty Lederman sur Just Security).

Conférence de Paris sur l'Irak

Le Président François Hollande entouré des chefs d’État et des ministres des affaires étrangères lors de la Conférence sur l’Irak

Nous allons nous intéresser ici à la légalité internationale d’une telle intervention en Syrie. Si la nécessité d’une telle intervention armée semble plutôt partagée au sein de la communauté internationale, il convient de constater que cela est juridiquement loin d’être évident, en tout cas concernant la Syrie. En effet, l’Irak ne pose a priori pas de problème, ses plus hautes autorités ayant exprimé son consentement à une intervention militaire, comme elles ont eu l’occasion de le faire dernièrement lors de la Conférence internationale pour la paix et la sécurité qui s’est tenue le 15 septembre 2014 à Paris. Ainsi,

« tous les participants ont souligné l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de Daech (EIIL) dans les régions où il a pris position en Irak. Dans cet objectif, ils se sont engagés à soutenir, par les moyens nécessaires, le nouveau gouvernement irakien dans sa lutte contre Daech (EIIL), y compris par une aide militaire appropriée, correspondant aux besoins exprimés par les autorités irakiennes et dans le respect du droit international et de la sécurité des populations civiles ».

Par contre, le communiqué ne mentionne pas le cas de la Syrie.

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Légitime défense et cyberattaque à la lumière du manuel de Tallinn

Du 4 au 5 septembre 2014, s’est tenu le dernier sommet de l’OTAN au Pays de Galles principalement consacré à l’ « instabilité croissante » en Ukraine, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ainsi qu’ « aux menaces transnationales et multidimensionnelles [qui] compromettent également notre sécurité ». Une partie du communiqué finale est consacrée aux cyberattaques et aux cybermenaces. Il indique notamment que « la cyberdéfense relève de la tâche fondamentale de l’OTAN qu’est la défense collective. Il reviendrait au Conseil de l’Atlantique Nord de décider, au cas par cas, des circonstances d’une invocation de l’article 5 à la suite d’une cyberattaque ».

Dirigeants des pays membres de l'OTAN lors d'un défilé aérien au dernier sommet de l'OTAN au pays de Galles le 5 septembre 2014

Dirigeants des pays membres de l’OTAN lors du dernier sommet au pays de Galles le 5 septembre 2014

Il convient de rappeler que l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord porte sur les conditions du droit de légitime défense en cas d’attaque d’un ou de plusieurs de ses membres. Ainsi,

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Retour sur les attaques aériennes antiterroristes conduites au Yémen du 19 au 21 avril 2014

Plusieurs opérations militaires antiterroristes ont été menées le weekend dernier par les États-Unis et le Yémen contre Al-Qaïda Péninsule arabique (AQPA). Une fois n’est pas coutume, les autorités américaines ont refusé de commenter ces opérations, continuant d’entretenir le flou sur la composante militaire du contreterrorisme américain. En l’espèce, des questions se posent sur les auteurs des attaques, l’existence d’une menace à la vie des citoyens américains, standard fixé par les États-Unis en mai 2013, ainsi que sur les victimes civiles.

Tout d’abord, il convient de revenir sur ce qui s’est passé ce weekend.

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Les drones armés dans le collimateur du Parlement européen

Dans une résolution d’actualité sur l’utilisation des drones armés adoptée à une très large majorité le 27 février 2014, le Parlement européen a exprimé ce qui pourrait être la position de l’Europe sur cette question, en attendant qu’une autre instance se prononce peut-être. Ainsi, le Parlement « se dit gravement préoccupé par l’utilisation de drones armés en dehors du cadre juridique international ». Il ajoute que « le recours aux systèmes d’aéronefs pilotés à distance (RPAS ou «drones») dans des opérations meurtrières extraterritoriales a fortement augmenté au cours de la dernière décennie et qu’un nombre inconnu de civils ont été tués, gravement blessés ou traumatisés dans leur vie de tous les jours ».

Il convient d’ores et déjà de préciser deux choses avant d’aller plus loin. Tout d’abord, contrairement à ce qu’annonce l’intitulé de la résolution, celle-ci ne porte pas sur l’utilisation des drones armés stricto sensu, mais sur leur emploi dans des « opérations meurtrières extraterritoriales », autrement dit, en-dehors d’un conflit armé. Or, comme le souligne Gabor Rona, ancien conseiller juridique au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le fond  du problème n’est pas tant le drone armé que l’assassinat ciblé conduit quel que soit le moyen employé (hélicoptère, tir de sniper, missile de croisière…).  En outre, si l’annonce d’une position européenne critique est à saluer, on peut se demander si elle n’est pas quelque peu tardive. En effet, elle intervient dans un contexte  de baisse du nombre de frappes de drones au Pakistan et alors que celles-ci ont débuté en 2004 (2002 pour le Yémen). Selon le dernier rapport du Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, ce nombre s’élève à 27, loin du pic de 2010 qui s’élevait à 128. De plus, aucun dommage civil n’a été signalé en 2013 dans ce pays. Pour l’instant, aucune frappe de drone n’a eu lieu en 2014. Cette tendance doit être appréciée à l’aune de l’annonce faite par le Secrétaire d’État américain John Kerry, en août 2013, de la fin des frappes de drones au Pakistan dans un avenir proche.

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L’emploi de la force armée entre maintien de l’ordre et acte de guerre

La cadre juridique dans lequel s’inscrit l’usage de la force armée se fait de plus en plus incertain. Le brouillage des catégories traditionnelles entre « guerre » et paix », entre « civil » et « combattant » à l’œuvre dans les « états de violence » actuels (pour reprendre l’expression du philosophe Frédéric Gros cherchant à qualifier la structuration spécifique de cette nouvelle forme de conflictualité s’opposant en tout point à l’état de guerre) a perturbé le régime d’emploi de la force, poussant de plus en plus à envisager les situations au cas par cas.

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C’est à cette tâche que s’est attelé le CICR qui vient de publier les résultats d’une discussion entre experts (Professeurs, militaires) datant de janvier 2012 dans un rapport. S’il ne fait pas œuvre de jurisprudence (il ne s’agit pas de définir une position officielle), le CICR souhaite contribuer à la clarification du cadre juridique applicable à l’emploi de la force armée. Avant de procéder à l’étude de cas concrets, il convient de rappeler qu’il existe deux régimes applicables (les experts parlent de « paradigme »): celui du maintien de l’ordre et celui des hostilités. Le premier s’applique en temps de paix; il est régi par le droit international des droits de l’Homme. Le second s’applique lors d’un conflit armé; il est gouverné par le droit international humanitaire.

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Assassinats ciblés : retour sur la pratique israélienne. Première partie.

Il y a plus d’un an un drone israélien frappait un véhicule dans lequel se trouvait Ahmad El Ja’Abari, le commandant de l’aile militaire du Hamas, les brigades Izz El Din El Qassam. Cette attaque fût le prélude d’une opération militaire de plus grande ampleur des Forces de défense israélienne dans la bande de Gaza, intitulée « Pilier de Défense », en réponse aux tirs de roquettes palestiniens. A cette occasion, Israël renouait avec une tactique controversée qui a marqué sa lutte contre les attentats-suicides au cours de la Seconde Intifada. A bien des égards, Israël inaugurait à une échelle locale ce que les États-Unis allait exécuter à l’échelle globale.

Image de la frappe aérienne tuant Ahmad El Ja’Abari

Contrairement à ces derniers, le gouvernement israélien a rapidement rendu public sa politique d’assassinats ciblés. C’est à l’autonome 2000, qu’il décide d’exposer sa méthode pour endiguer la vague d’attentats-suicides palestiniens qu’il connaît, dans un contexte d’échec des négociations de paix. Il convient de rappeler qu’entre le début de la Seconde Intifada et juillet 2003, les attaques des groupes armés palestiniens ont fait près de 750 victimes israéliennes, civiles pour la plupart[1]. C’est le vice-directeur des services de sécurité intérieure, Yuval Diskin, qui émet la proposition de recourir aux assassinats ciblés pour mettre fin à ces attaques[2]. Il convient de noter que, contrairement à la pratique américaine, le drone n’est pas l’instrument privilégié par les Israéliens. Il est en quatrième position derrière le tir de roquette par hélicoptère et le tir de soldat par arme à feu au sol[3]. La proximité et la taille du théâtre des opérations expliquent ce « choix des armes ».

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